51

 

Un faucon dans le ciel, voilà la première chose que revit Thomas.

Pas de spectre. Pas de cadavre. Juste un faucon pèlerin qui planait, paisible. Le ruban de fumée ne vint qu’ensuite… Il ondula au ralenti, poussé par le vent, tira toute une flopée de souvenirs dans son sillage… Et Tom comprit qu’il ne rêvait plus.

Deux visages se trouvaient penchés au-dessus du sien : Lenny – décidément, ça devenait une habitude – et Elizabeth.

Il s’assit et se massa le crâne. Ses fesses écrasaient la poussière de la rue. Il examina le sommet du bunker : plus aucune trace du crapaud BMC. Pas le moindre reste d’incendie, à part des fumerolles et quelques nuages gris.

Il ouvrit la bouche.

— Comment… ? croassa-t-il, avant de produire une horrible quinte de toux.

Lenny sourit.

— On vous a entendu crier, dit le dandy. Puis plus rien. On a cru qu’on vous avait perdu.

— Vous pouvez le remercier, dit Elizabeth d’une voix tremblante. Il vous a sauvé la vie.

Stern haussa les épaules, modeste.

— Au lieu de paniquer comme tout le monde, poursuivit Elizabeth, il a eu l’idée de ramener des outils. On s’est acharnés sur le volet roulant qui masque l’entrée côté rue. On a réussi à le soulever de cinquante centimètres. Vous vous trouviez juste derrière.

Thomas avala sa salive. Un goût d’essence traînait dans sa bouche.

— Au rez-de-chaussée ? dit-il.

— Oui.

Il se souvenait d’avoir été transporté. Et aussi du visage sous le masque. Frankie.

— On a juste eu le temps de vous sortir de là avant que le toit ne cède. Tout s’est effondré à l’intérieur du bâtiment.

— Et Vector ?

— C’est… C’est horrible. Il a cessé de crier… Et puis il a disparu dans les flammes. Il est mort. (Elizabeth tortillait nerveusement ses mains, en proie à une vive émotion.) Mais ce n’est pas tout. Le tueur s’est enfui à bord d’un 4 x 4.

— Hein ?

— On ne sait pas d’où il est sorti, ni comment il a fait pour planquer le véhicule. Il a surgi d’un coup dans la rue, foncé et disparu dans la plaine.

Thomas avait du mal à le croire. Le tueur avait mis les voiles ? C’était formidable !

— Il y a un problème, reprit Lenny en se mordant les lèvres. Apparemment, votre agression et celle de Kaminsky n’étaient qu’une diversion.

— Qu’est-ce que vous racontez ? Le tueur aurait mis le feu et assassiné Vector simplement pour s’enfuir ? Ça ne tient pas debout !

— Pas pour fuir. Pour nous occuper, dit Elizabeth.

Les mains de la jeune femme étaient tellement serrées que les jointures avaient blanchi.

— Pendant qu’on bataillait pour vous sortir de là, il a eu Karen et Pearl. On les a vues quand le 4 x 4 est parti. Elles hurlaient à l’intérieur et tapaient contre la vitre arrière.

 

— L’assassin est parti. Vous n’êtes plus en danger. Alors, s’il vous plaît, allez faire un tour.

Voilà ce que Thomas avait osé demander à Elizabeth, Peter et Lenny.

À leur grande surprise.

— Allez-y, avait-il insisté. L’inspecteur Cole et moi devons discuter avec Cecil.

Son ton avait de quoi surprendre. Blesser, même. Mais tous trois s’étaient exécutés sans broncher.

Thomas avait détesté faire ça. Mais il n’avait pas le temps de leur expliquer. Les événements qui venaient de se produire changeaient complètement la donne. Avant d’aller plus loin, il devait éclaircir un point. Il avisa les deux hommes.

— Vous, suivez-moi.

Cameron fronça les sourcils mais obtempéra. Cecil se laissa faire, hagard, le pas aussi léger que s’il déambulait dans un rêve. Sa blessure au front avait cessé de saigner. Tom l’entraîna jusqu’au Pink’s, l’installa sur une chaise à l’ombre, colla un chiffon propre sur sa plaie et un verre d’eau entre ses mains.

— Mais qu’est-ce que vous foutez ? finit par lâcher Cameron.

Thomas l’ignora pour se tourner vers le pompiste.

— On t’écoute.

— M-m-moi ?

— T’es parti avec Vector et Pearl. Tu reviens seul, la tête en sang. Raconte.

Ils mirent près d’une demi-heure à reconstituer les faits, tant Cecil bégayait. Le jeune homme était désorienté et son corps parcouru de tremblements. La disparition de Pearl, bien plus que sa blessure, semblait l’avoir vidé de toute énergie.

Sa version donnait ceci : Vector, Pearl et lui étaient repassés à leur chambre dans la maison voisine du Pink’s, tôt dans la matinée. La jeune femme voulait récupérer ses affaires. Vector Kaminsky avait alors été saisi d’une envie pressante. Il se trouvait au petit coin quand le dingue leur était tombé dessus. Le tueur était armé d’un shocker électrique. Il avait neutralisé Pearl d’une seule décharge, puis s’était tranquillement dirigé vers les toilettes dont il avait extrait Kaminsky, hurlant, le pantalon sur les jambes. Cecil avait tenté de s’interposer, et récolté le coup qui lui avait rouvert l’arcade et l’avait expédié une fois de plus dans le coltar. Quand il s’était réveillé, Vector et le tueur avaient disparu. Pearl ne bougeait plus. Il avait paniqué et s’était aussitôt précipité vers le Frigo. Fin de l’histoire.

— Kaminsky a crié à cet instant précis, dit Thomas. On a tous filé au bunker en flammes, mais toi, au lieu de nous accompagner, tu as demandé à Karen de te suivre ?

— J-j’étais terrifié. Je v-voulais soigner P-Pearl… C-comprenez, elle p-paraissait morte. V-vous étiez tous p-partis.

— Mais quand vous êtes arrivés sur place, Pearl avait disparu.

— V-voilà.

— Comprends pas, grogna Cameron Cole. Disparu comment ?

— Ben, elle était p-p-plus dans la chambre.

— Pourquoi vous êtes-vous séparés, Karen et toi ?

— E-elle m’a d-d-dit d’aller v-vous aider. Qu’elle c-chercherait P-Pearl t-t-toute seule…

— Tiens donc. Et tu l’as laissée ? dit Cole.

— B-ben oui.

Le policier secoua la tête. De petits nuages noirs s’amoncelaient sur son visage, à mesure que celui de Cecil pâlissait.

— Et le tueur ? demanda Cole, très calme. Comment a-t-il réussi à vous surprendre ? Qu’est-ce que vous foutiez, Pearl et toi, pendant que Kaminsky se trouvait aux toilettes ?

Cecil murmura quelque chose.

— J’entends rien ! aboya le flic.

— O-on s’embrassait.

Cole posa ses deux mains sur les épaules du jeune homme.

— Je suis un peu perdu, là. Il faudrait m’expliquer. Tous les trois vous étiez supposés sortir cinq minutes et rapporter un simple bidon d’essence. Et en prenant toutes les précautions vu qu’un dangereux psychopathe rôdait en liberté. Mais non. Au lieu de ça, vous récupérez les chiffons de la demoiselle, traînez aux toilettes, et faites bisou-bisou dans la chambre. Et maintenant, on a trois morts et deux disparus sur les bras. Je résume bien comme il faut ?

Cecil se ratatina sur lui-même. Cameron empoigna la batte de base-ball passée à sa ceinture.

— Cole ! dit Thomas.

— Lincoln, restez en dehors de ça, je vous prie.

Le flic força Cecil à saisir la batte.

— Mon pauvre Cecil, tu es un abruti total. Un moins que rien. Le zéro absolu. Alors maintenant, tu prends ça et tu montes la garde à l’entrée du village. Le cinglé se repointe avec son 4 x 4 : tu nous avertis. Un truc bouge dans la plaine : tu nous avertis. Une seule mouche qui pète…

— … j-je v-v-vous avertis.

— Monsieur l’inspecteur.

— M-monsieur l’inspecteur.

— Bien. Soyons clairs : j’en ai rien à foutre que le tueur te découpe en rondelles. Si je te vois faire quoi que ce soit d’autre que surveiller l’horizon, c’est moi qui te tue. De mes propres mains. Et maintenant, dégage.

Ils regardèrent le jeune homme s’éloigner dans la rue, traînant la batte derrière lui d’un air misérable.

— Qu’est-ce que vous en pensez ? interrogea Thomas.

— Que c’est un petit con, dit le flic.

— Et à part ça ?

— Il ment.

— Vraiment ?

— Je viens de vous le dire.

Thomas réfléchit.

En vérité, c’était ce qu’il pensait aussi. L’enchaînement des événements se tenait. Et la disparition de Pearl avait bouleversé Cecil, aucun doute là-dessus. Pour autant, sa présence sur les lieux tombait pile, une fois de plus.

Il cachait quelque chose. Restait à savoir pourquoi.

— Vous auriez pu le cuisiner un peu, grommela Thomas.

— Je le ferai, répondit Cole. Crachez d’abord votre Valda.

— Quoi ?

— Ne faites pas l’innocent. Vous vous êtes arrangé pour qu’on se retrouve seuls tous les deux. Et entre nous, c’est le grand amour. Alors, qu’est-ce que vous avez à me dire ?

Tom hocha la tête.

— D’accord, soupira-t-il. Pendant que j’étais dans le coltar j’ai fait un rêve. Un rêve qui m’a rappelé un épisode de jeunesse.

— Et ?

— Le tueur. Je l’ai déjà rencontré. En fait, lui et moi, on se connaît très bien.

L'Oeil De Caine
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